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Rencontre avec Anne Seibel, chef décoratrice star à Paris qui a conquis Hollywood

Film
Woody Allen, Steven Spielberg, Sofia Coppola, Clint Eastwood, M. Night Shyamalan, tels sont les grands noms américains qui constituent la filmographie d’Anne Seibel.
Crédit photo : Anne Seibel

Plongez dans les décors parisiens avec Anne Seibel, la chef décoratrice française très hollywoodienne

Rencontre avec Anne Seibel, chef décoratrice française, nommée aux Oscars, qui nous dévoile ses secrets de décors parisiens sur Minuit à Paris, Marie-Antoinette, Munich, Le diable s’habille en Prada, les séries Les Soprano, Sex and the City et The Eddy de Damien Chazelle, et bien plus encore…

Woody Allen ne dépense pas plus de 10 millions de dollars par film. Comment avez-vous appréhendé ce challenge de reconstruction sur Minuit à Paris, pour lequel vous avez été nommée aux Oscars, avant de retrouver le cinéaste pour To Rome with Love et Magic in the Moonlight ?

Anne Seibel : J’étais en compétition avec quatre chefs décorateurs français récompensés aux César quand il m’a choisie. Mais j’avais déjà travaillé avec Spielberg, Coppola, Eastwood, conçu des gros décors pour GI Joe, Rush Hour 3. Autre avantage, Rick Carter, décorateur de Spielberg avec lequel j’ai fait Munich, est mon mentor. Woody Allen est très famille. Les décors ont coûté 600 000 €. J’ai utilisé le système D de manière intelligente et il m’a laissé carte blanche. Nous avons choisi des lieux avec peu de pollution visuelle pour reconstituer le Paris des années 20, comme la rue de Rivoli et le quartier du 6e. L’appartement de Gertrude Stein fait partie des plus gros décors.

Il est situé rue de Fleurus, mais on ne pouvait pas y tourner car il est habité et tout a été transformé. On a donc préféré louer un appartement dans les mêmes considérations, au 24 rue René Boulanger dans le 10e. Les éléments architecturaux attiraient l’oeil et donnaient l’impression d’être dans son appartement. J’ai pourtant tout refait à l’intérieur : les peintures, les couleurs, les lampes, le mobilier d’époque. J’avais fait deux mois de recherches en me basant sur une des pièces les plus représentatives, avec la cheminée et les tableaux de Picasso qu’elle avait achetés. Les scènes en extérieur se sont déroulées rue Malebranche.

Le Moulin Rouge a été un challenge. Comment avez-vous reproduit la structure à La Cigale ?

Anne Seibel : En décor naturel, Le Moulin Rouge du début du XXe siècle n’existe plus. La Cigale est le seul lieu qui correspondait à l’architecture. Pour chaque décor, je peux souvent en présenter trois, mais ici il n’y avait qu’un lieu possible à proposer à Woody. Toute l’équipe était affolée car s’il disait non, on n’avait rien d’autre. J’avais tout préparé et étudié toutes les scènes du scénario. C’est le premier décor que je lui ai présenté. Je l’avais rencontré seulement deux fois et c’était mon premier long métrage comme chef décoratrice totalement seule, après un film indien, Road Movie, financé par le producteur de Marie-Antoinette. J’étais au milieu de la scène, terrorisée.

L’équipe me disait « ne t’en fais pas, on est à tes côtés ». Ils étaient surtout à cinquante mètres derrière moi (rire). Je me suis sentie marchande de tapis. Je lui ai donc expliqué tout ce que j’allais retravailler, reprendre, ajouter : les piliers en bois carré, installés sous la coursive, des petites balustrades, des miroirs encadrés dorés pour élargir la pièce, des tentures rouges pour cacher les portes modernes, du lino en faux bois à patiner comme le parquet des bals populaires, un lustre avec des guirlandes de fêtes foraines peintes en noir, les lampes aux tons dorés. Avec les nappes sur les tables et les filles du french cancan, le rendu serait incroyable. Je lui ai demandé « Vous voyez ce que je veux dire ? » et il m’a répondu « Oui, j’ai de l’imagination, on va le faire ici ». Tout le monde s’est relâché, j’étais exténuée (rire).

Quels ont été vos autres défis, Anne Seibel ?

Anne Seibel : Woody n’utilise pas de numérique ni d’effacement. Cela nécessite de la créativité et de faire du cinéma. Avec le directeur photo, Darius Khondji, on a réussi un petit exploit dans une scène nocturne dialoguée où Owen Wilson et Marion Cotillard marchent dans une rue de Pigalle.

Ce quartier est rempli de néons maintenant. J’ai trouvé un café avec une terrasse très parisienne et un vieil hôtel à l’angle de la rue Duperré dans le 9e. En mettant de vieilles enseignes, une voiture d’époque et des affiches, cela devenait un petit quartier de Pigalle à l’ancienne, avec des prostituées adossées à un mur ou à un réverbère. J’avais minuté les dialogues et aménagé ce qui devait tenir dans la scène en prévenant Darius de ne pas déborder.

On a réussi à faire 1920 dans le cadre, mais au fond, il y avait un feu rouge et un kiosque. J’ai donc mis une colonne Morris pour cacher le feu, mais je n’ai pas réussi pour le kiosque. J’étais en panique puis Woody m’a répondu « Si on voit votre kiosque, ça voudra dire que je suis un mauvais metteur en scène et qu’on n’écoute pas mes acteurs ».

Dès la première transition d’époque comment avez-vous fait glisser le temps visuellement et ce, d’une période à l’autre ?

AS : On a joué sur des tons très dorés et plus ambres pour le passé, et des tons plus froids, dans les bleus pour le contemporain. à l’écran, on perçoit le changement de tonalité, de valeur, de lumière et de couleur. Tout ce travail a été fait avec le directeur photo. La scène de la voiture qui monte vers l’église Saint-Étienne-du-Mont est magique. J’ai quasiment rien modifié dans cette rue, mais l’effet de la voiture d’époque produit un changement avec les personnages en costumes. Au départ, cette scène devait se faire sur les bords de Seine, près de Notre-Dame, mais les quais, de nuit, au mois d’août, ce sont des milliers de jeunes qui boivent, chantent et dansent. On a donc proposé cette petite rue pavée, avec cette église, et de marquer le temps qui change à minuit par le son de la cloche.

Anne Seibel, quelques années plus tôt, vous avez supervisé la direction artistique de Marie-Antoinette de Sofia Coppola au budget de 45 M$. Vous avez réimaginé les pièces où résidait la cour royale et reconstitué Versailles dans d’autres lieux patrimoniaux. Comment avez-vous organisé votre cahier des charges ?

Anne Seibel : J’ai préparé le devis et décomposé chaque décor par rapport au scénario et à l’existant, comme la chambre de la reine. Tout devait être chiffré (rideaux, fleurs, nourriture…). C’était énorme, il ne fallait pas se tromper avec le chef décorateur K.K Barrett. On ne pouvait pas tourner entièrement à Versailles et avec Sofia, pas de studio. On a donc tout reconstitué dans plusieurs châteaux et fait des jonctions pour donner l’impression d’être à Versailles. Lorsqu’on a posé le stylo avec l’ensemblière, le budget atteignait les 5,5 M$. Ils nous ont demandé de retirer un million, on a pensé à supprimer un décor. Finalement, rien n’a été coupé. La chambre de la reine, reconstituée à l’identique, a coûté 300 000 €. Le film est riche car Marie-Antoinette arrive à Versailles et refait tout.

Dans les films d’époque, on a tendance à patiner. Ici, tout devait être clinquant, neuf et rehaussé d’or. On a sélectionné trois sortes d’or pour choisir le plus adapté à la lumière. Pas un or vert, mais un or rose. On a fait faire les tissus de la chambre. Tout ce qui était près des acteurs a été tissé par les soieries Prelle et les murs étaient recouverts de tissus en impression numérique. Toutes les têtes de lits ont été brodées par des brodeuses. Les passementeries ont été louées à 1200 € pièce. Je travaille souvent avec des compagnons du devoir des artisans de la tradition.

Comment avez-vous procédé pour cette reconstitution à Versailles, véritable jeu de piste pour les touristes ?

Anne Seibel : Ce sont des châteaux classés, on faisait très attention. Sofia avait préparé un carnet de tendance, avec des photos d’ambiance. On a fait l’opéra à l’Opéra Comique en trafiquant la loge. L’impressionnante chambre du roi rouge, avec des balustres dorés, et une partie de la soirée d’anniversaire ont été tournées à l’hôtel de Soubise. Quand Kirsten Dunst visite Versailles, on aperçoit une salle un peu ronde, c’est aussi à l’hôtel de Soubise, juste avant qu’elle rentre dans les appartements qu’on a tourné au château de Millemont.

Toute cette partie s’intègre très bien. La scène des feux d’artifices à Versailles s’est passée à Vaux le Vicomte, tout comme la bataille entre deux galions (bateaux) pour enfants, qu’on a reconstruit et qui valent le prix d’une Ferrari (rire). La scène dans ses appartements où elle est au milieu des gâteaux et qu’on a entièrement repeints, se passe au château de Pontchartrain. Le dîner du roi avec Asia Argento se déroule au château de Dampierre. C’était essentiellement de l’ensembliage et du meublage mais le rendu du montage à l’écran est bluffant.

Quel a été le travail au Château de Versailles ?

Anne Seibel : On a eu accès au petit théâtre, à la chapelle, au salon où se sont déroulés les dîners, aux jardins, au petit trianon et à la ménagerie. On a eu les clés du château pour accéder aux toits ; on a pu monter à l’intérieur de la chapelle dans la charpente, c’était hallucinant! On ne peut plus y accéder maintenant. Le tournage a duré 5-6 jours, et seulement le lundi car le château était ouvert au public les autres jours. J’ignore si c’est encore comme ça aujourd’hui. On montait le décor dans la nuit du dimanche et on le démontait le lundi soir. Ce fut une sacrée organisation.

Vous avez eu aussi l’occasion de travailler avec Spielberg pour Munich situé dans les années 70. Qu’avez-vous recréé à Paris ?

Anne Seibel : Spielberg, c’est le top du top. Je rêvais de travailler avec lui quand j’ai découvert E.T. enfant. Le devis a été fait par le décorateur Rick Carter, mon mentor. Au départ Munich devait se dérouler en France, mais il a été tourné à Budapest pour des raisons fiscales. Rick a quand même réussi à convaincre Spielberg de tourner certaines scènes à Paris et m’a confié ce travail pour cinq jours de tournage.

Ce sont des scènes de cascades. Vu le thème du film, tout était hyper contrôlé. On a créé un petit marché dans la rue Mouffetard près du café Les caves de Bourgogne typiquement français et intemporel, et un grand marché sous le pont de Bir-Hakeim. Les marchés, c’est compliqué à mettre en place car il faut beaucoup de produits et de nourriture pour que ce soit crédible. J’ai construit également la ferme de Papa (Michael Lonsdale) à l’est de Paris, refait une cuisine dans la grange et une Pergola dans le jardin.

Vous vous êtes également occupée de quelques décors parisiens sur Le Diable s’habille en Prada

Anne Seibel : C’était de l’ensembliage car il y avait un chef décorateur américain, Jess Gonchor. J’ai aménagé des décors dans le Petit Palais et à l’extérieur du Plaza Athénée car l’intérieur a été recréé en studio à New York. J’ai également fait un travail de scénographie au Palais Galliera avec tout un intérieur floral pour les défilés de mode.

Vous avez également travaillé sur Rush Hour 3, GI Joe, Au-delà, Phénomènes…

Anne Seibel : Oui, j’étais directrice artistique pour Peninsula Films, producteur de Rush Hour 3, Les Sopranos, Le Diable s’habille en Prada. Ils m’ont confié des scènes de films qui se tournaient à Paris. J’ai acquis une réputation de chef décoratrice bilingue qui suit les projets anglo-saxons. Sur Rush Hour 3, il s’agissait de cascades à la Tour Eiffel sur une dizaine de gros décors. J’ai appris à connaître la Tour Eiffel par coeur (rire). J’ai reconstruit un kiosque pour une scène d’action, je me suis occupée de la lumière et des jets d’eau pour une autre scène où Jacky Chan tombe dans les fontaines du Trocadéro, et une autre cascade à l’Unesco avec une voiture qui fonce dans un camion.

On a également aménagé l’aéroport de Roissy, avec Roman Polanski qui jouait un commissaire. Pour Phénomènes, il n’y avait qu’une scène à Paris où on a construit un kiosque à glaces aux Tuileries. Pour Au-delà, il s’agissait de créer le bureau de l’éditeur de Cécile de France dans une salle du Palais de Tokyo avec vue sur la Tour Eiffel.

Et le film indien Befikre…

Anne Seibel : C’était dingue et très amusant! On a tourné dans les lieux les plus mythiques de Paris. Le film a coûté 8 M€, avec 2000 figurants, 250 techniciens et 1,3 M€ de budget pour les décors. On a privatisé le 2e étage de la Tour Eiffel pour un dîner en amoureux, mobilisé les marches de Montmartre pendant quatre jours pour des danses Bollywood. On a tourné sur les toits de l’Opéra, au Louvre, dans le parc des Buttes-Chaumont, sur les vedettes de Seine, au Showcase, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à l’hôpital Saint-Louis avec vue sur Notre-Dame. Ce fut un buzz incroyable, avec six chansons dans le film dont chacune nécessitait 30 décors.

Vous explorez par ailleurs les séries, comme Les Soprano pour l’unique épisode situé à Paris, Cold Stones. Quelles ont été les directives ?

Anne Seibel : C’était aussi un travail d’ensemblière pour 50-60 000 €. Au Musée de Cluny, on a construit des vitrines avec des bijoux médiévaux et aménagé l’intérieur. Pour le reste, de la brasserie Royal Pereire au Grand Véfour, de l’Hôtel Marriott au Palais Royal, c’était de du réaménagement de décors naturels.

Idem pour Une Américaine à Paris, les deux derniers épisodes de l’ultime saison de Sex and the City ?

Anne Seibel : Oui, mais c’était très marrant et très girlie! On a fait de l’aménagement au Plaza Athénée et dans les restaurants L’Avenue et le Kong avec Carole Bouquet. L’ancienne Pâtisserie Cador, face au Louvre, était magnifique. C’est dommage qu’elle ait disparu. Pour cette scène, on a aménagé la vitrine de gâteaux. J’avais trouvé un paravent entièrement assorti au chien assis à côté de Sarah Jessica Parker. Je m’en souviens, il faisait un froid de canard. On était tous en doudoune pendant que l’actrice se gelait sur le Pont des Arts avec sa jupe en tulle. J’étais fascinée par cette fille et son professionnalisme ; elle n’a jamais râlé.

Anne Seibel, que pouvez-vous nous confier sur The Eddy, la série de Damien Chazelle (La La Land) produite par Netflix ?

Anne Seibel : Je vais recréer l’univers d’un club de jazz dans le Paris actuel et multiculturel. J’ai fait une étude sur les lieux où les jeunes écoutent cette musique : des adresses iconiques, comme le Duc des Lombards et le New Morning, aux lieux moins connus comme La Gare du 19e. La série est composée de 8 épisodes et Damien en réalise 2 qui se déroulent dans ce lieu le plus important. Le tournage démarre le 6 mai. J’ai trouvé un endroit qu’on aime et préparé un projet avec des mood boards et des illustrations qui va être présenté à Damien, au scénariste, aux producteurs américains et Netflix français. Car tous ont leur mot à dire.

Article écrit par Nathalie Dassa.

Crédit photo de couverture : Anne Seibel.

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Par Fantrippers Rédaction

lundi 11 février 2019

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